Par Justin Bur
INFO 2000 11:2, juin 2000
Le 11 avril, le ministre des Transports du Québec Guy Chevrette a présenté un « Plan de gestion des déplacements de Montréal ». Le plan propose des dépenses d'investissements de 3,8 milliards de dollars sur dix ans (2000–2010) pour réaliser une série de projets, dont plusieurs ont déjà été proposés mais jamais réalisés; un certain nombre d'autres sont nouveaux. En tout, 40 % des sommes investies (1,5 milliards $) sont destinées aux transports en commun, notamment pour des prolongements du métro, des améliorations au réseau de trains de banlieue, et des voies réservées. Quant aux investissements dans le réseau routier, ils sont dominés par le projet d’« optimisation » de l’Autoroute métropolitaine, qui représente 20 % des dépenses du plan de transport.
Les études préalables au plan de transport ont démontré que le nombre de déplacements dans la région métropolitaine augmente sans cesse, pendant que la part du transport en commun diminue. Le nombre total de déplacements par transport en commun a même diminué de 11 % de 1987 à 1993, bien que cette tendance commence lentement à s'inverser. Une cause principale de cette érosion est la croissance rapide des banlieues éloignées, mal desservies par les transports en commun et souvent difficiles à desservir. Des mesures sont encore nécessaires pour changer les formes du développement en banlieue et pour promouvoir les pratiques du « nouvel urbanisme » axées sur le développement durable. En attendant, le plan de transport fait ce qu’il peut dans les circonstances actuelles.
Le plan de transport est guidé par trois orientations:
Les orientations sont accompagnées d’objectifs plus spécifiques:
En proposant de « gérer la demande », le plan remarque que « selon toute probabilité, une simple augmentation de l’offre en transport en commun ne réussira pas à faire augmenter le nombre d’usagers au point d’inverser les tendances lourdes » (Stratégie d’intervention prioritaire, page 12). Des mesures de gestion de la demande sont proposées tels le covoiturage, la promotion du vélo, et la gestion du stationnement chez les entreprises et les institutions; pour cela, 10,3 millions de dollars sont alloués dans les cinq premières années du plan.
Les orientations et les objectifs sont louables et il serait difficile de les critiquer sévèrement. Là où on peut avoir des doutes, c’est au sujet des projets spécifiques proposés pour atteindre les objectifs. Pourtant, la plupart des projets mis de l’avant sont raisonnables.
Les projets de transport en commun correspondent en général aux propositions de l’Agence métropolitaine de transport (AMT), ce qui confirme la crédibilité établie par l’Agence depuis sa création en 1996. Le train de banlieue de Blainville passera alors en phase permanente (avec amélioration des gares) et la remise en service du train de Saint-Hilaire est confirmée. (Le service débute déjà le 29 mai sur une partie de la ligne.) La capacité de la ligne de Deux-Montagnes sera augmentée. Quelques voies réservées de plus sont projetées. Curieusement, celle située sur le pont Champlain serait déplacée en site propre sur l’estacade.
Une reprise de la construction du métro est proposée qui va plus loin que les souhaits de l’AMT. En plus des prolongements déjà annoncés (ligne orange de Henri-Bourassa à Laval, ligne bleue de Saint-Michel à Pie-IX), on annonce la poursuite de la ligne bleue jusqu’à Anjou et quatre nouvelles stations à Longueuil sur la ligne jaune avec un terminus au cégep Édouard-Montpetit. Le prolongement de la ligne bleue s’inscrit dans une Stratégie intégrée de desserte pour l'est de Montréal qui veut promouvoir la nouvelle urbanisation sur l’île de Montréal.
Quant au prolongement du métro dans Longueuil, il est justifié par la stratégie de consolider le centre de l’agglomération. « Le centre de l’agglomération métropolitaine couvre un territoire qui, du nord au sud, déborde le cadre de l’île de Montréal pour rejoindre la Rive-Sud immédiate ainsi que le centre de Laval » (Stratégie d’intervention prioritaire, page 8). En effet, le Vieux-Longueuil est une zone d’urbanisation ancienne desservie par les tramways de Montréal, jusqu’à leur abandon, et par les autobus de Montréal jusqu’en 1982. La densité et la forme urbaine du Vieux-Longueuil sont compatibles avec un métro. Ce prolongement pourra mieux exploiter la capacité de la ligne jaune et rendre le transport en commun plus intéressant pour un plus grand bassin de population.
Les projets de construction routière du plan de transport sont nombreux et coûteux. Cependant, on propose assez peu de construction de nouvelles autoroutes et on pose des conditions à la réalisation de certains projets. Il y a même des projets routiers de grand intérêt pour tout le monde. Enfin, nous aurons des feux de circulation gérés dynamiquement par ordinateur! (Avec seulement 25 ans de retard!) En plus, le système de surveillance électronique du réseau autoroutier sera étendu à toute la région, ce qui augmentera la sécurité et l’efficacité des autoroutes existantes.
Le plus grand projet de construction d’une nouvelle autoroute – le parachèvement de l’autoroute 30 à l’ouest de Châteauguay – est assujetti à la participation financière du gouvernement fédéral (ce qui ne devrait pas représenter un grand obstacle, quand même). Le projet controversé de compléter l’autoroute 25 entre Anjou et Laval, avec un nouveau pont sur la rivière des Prairies, pourra se réaliser seulement en cas d’un partenariat avec le secteur privé. Il devra inclure un corridor de transport en commun en site propre avec correspondance aux stations de métro Anjou et Radisson, et des mesures restrictives d’aménagement du territoire seront prises pour protéger la zone agricole de Laval.
L’autre nouvelle autoroute proposée sur l’île de Montréal est le prolongement de l'autoroute Ville-Marie (720) dans Hochelaga-Maisonneuve et Mercier, aussi appelé « modernisation de la rue Notre-Dame ». Ce projet a le mérite d’être l’objet de consultations publiques prolongées (même si elles ont été entreprises à contrecur) et d’un souci d’intégration de la route avec le tissu urbain qui démontre un changement d’attitude très bienvenu depuis la construction initiale de l’autoroute Ville-Marie il y a 30 ans. Ce dossier démontre à quel point il est essentiel que les citoyens se fassent écouter lorsqu’on propose une intervention qui pourrait nuire à leur milieu de vie.
Le plan de transport contient plusieurs mesures d’augmentation de capacité du réseau routier, surtout en banlieue. Même la possibilité d’un nouveau lien routier entre Montréal et la Rive-Sud est évoquée, sous condition d’un partenariat avec le secteur privé. On a critiqué ces mesures parce qu’elles feront inévitablement augmenter le volume de circulation automobile. À ce sujet, pourquoi le plan de transport n’est-il pas plus audacieux en essayant de changer les habitudes et de promouvoir les modes autres que la voiture personnelle?
On peut imaginer une raison pour le caractère quelque peu conservateur du projet en rappelant l’histoire récente des plans de transport de la région de Montréal. Le plan de transport de 1979 était très audacieux, surtout pour son époque. Il proposait la création d’un nouveau réseau de lignes de métro régional en surface dans les emprises des chemins de fer. Montréal allait avoir son système de transport de l’avenir, une sorte de croisement entre BART (San Francisco), les métros américains récents (Atlanta ou Washington (D.C.), et le réseau express régional (RER) de Paris. En plus, du même coup, les tarifs de tous les transporteurs de la région seraient harmonisés et intégrés dans un système de zones concentriques. La première ligne du nouveau métro régional allait être celle entre la Gare centrale et Repentigny via Montréal-Nord. « Éléphant blanc! » ont clamé les journaux. « Inadmissible! » ont protesté les sociétés de transport et les municipalités. « Nous voulons des autoroutes! » ont insisté les habitants de banlieue. Le plan est resté lettre morte.
Le plan du ministre Côté, en 1988, prévoyait peu d’investissements en transport en commun et beaucoup d’autoroutes, à tel point que des chercheurs de l'INRS-Urbanisation ont commenté que si tous ces projets étaient réalisés, il ne resterait plus assez de demande pour justifier des extensions au réseau rapide de transport en commun (Pierre Lamonde, Y. Bussière, S. Brice, M. Morin, Développement urbain et stratégie de transport pour Montréal, horizon 2001, INRS-urbanisation, août 1989).
Par la suite, le besoin de gérer les transports régionaux au niveau régional a lentement été admis par tous les intervenants. L’Agence métropolitaine de transport a été créée après de longues années de discussion et de négociation. Les projets de l’AMT ont tellement bien réussi que maintenant les municipalités de banlieue demandent des services de trains de banlieue et sont prêtes à y contribuer des fonds d’exploitation. Un système de tarification uniforme pour la région est en place. On a enfin établi le cadre institutionnel et financier nécessaire pour bien gérer un système de transport régional. Les projets annoncés dans le plan de transport pourront désormais être réalisés sans opposition. Dans un système démocratique, on est obligé de négocier et de faire des compromis, quitte à ne rien réaliser du tout.
Le plan de transport se termine sur une liste de projets « à décider », dont presque tous sont des nouvelles lignes de transport en commun. On y trouve notamment les lignes de système léger sur rail (SLR) étudiées par l’AMT. Est-ce que c’est bon signe ou mauvais signe d’avoir mis tant de projets de transport en commun dans la catégorie « à décider »? C’est peut-être décevant qu’ils ne soient pas confirmés d’emblée. Par contre, la longue liste de projets montre l’ouverture du gouvernement à mettre encore de l’argent dans le transport en commun à l’avenir si sa crédibilité continue à se confirmer et si la volonté politique à cet égard se maintient. Les promoteurs du transport en commun ont le vent dans les voiles, mais il reste encore beaucoup de travail de sensibilisation à faire pour que le bon vent continue.