Par Justin Bur
INFO 2000 13:3, septembre 2002
La carte à puce s'en vient à Montréal. La Société de transport de Montréal, en partenariat avec l'AMT, la STL, et le RTL, a lancé début juillet un appel d'offres pour un nouveau système de vente et de perception électronique de titres de transport pour la région métropolitaine. Cet appel d'offres fait suite à une décision prise le 16 avril par le conseil d'administration de la STM, qui autorisait l'emprunt de 101,7 M$ pour l'implantation du système.
Le renouvellement du système de perception est dans le vent depuis des années. Déjà en 1994 la STCUM a lancé un appel d'intérêt. On s'apprêtait à procéder à un appel d'offres en 1998, mais ces plans ont été abandonnés. Transport 2000 Québec s'était fermement opposé au projet de l'époque, qui risquait de remettre le contrôle de la perception aux entreprises qui fournissaient les équipements. On se souviendra que Jean Doré, l'ancien maire de Montréal défait en 1994, a dirigé un consortium de fabricants et de consultants qui a fait la promotion d'un tel système.
Entre-temps, des projets-pilote en Outaouais et à Chicago ont été menés avec succès. En France, plusieurs villes (dont la région parisienne) ont adopté ou s'apprêtent à adopter la perception électronique ou «télébillétique». Ce printemps, donc, la STM est revenue à la charge avec une proposition qui maintient la gestion de la perception chez les sociétés de transport, qui permet l'intégration aisée entre les différents opérateurs de la région, et qui ne modifie pas (du moins dans un premier temps) la structure tarifaire actuelle. En faisant attention de ne pas susciter un débat public qui aurait pu une fois de plus faire dérailler le projet, la STM est maintenant passée au stade de l'implantation. Son calendrier prévoit l'octroi d'un contrat en février 2003 et l'essai de prototypes fin 2003. Le nouveau système devrait être fonctionnel vers la fin de 2004.
Pourquoi donc le système de perception des tarifs devrait-il être remplacé? Le système actuel avec tickets magnétiques et correspondances d'autobus perforés, validés automatiquement par les tourniquets du métro, est un symbole de modernité depuis 1966. La lecture de cartes mensuelles magnétiques a été ajoutée en 1988. Mais dans les autobus, le chauffeur doit valider tous les titres à vue et il accumule les recettes dans une boîte dont le design a à peine évolué depuis un siècle. Avec la multiplication des titres de transport (interrives, régional, hebdomadaire, tarif réduit...), la validation manuelle est devenue difficile. L'entretien des tourniquets du métro pèse plus lourd avec le vieillissement des équipements. Les pertes dues à la fraude ou au vol sur le réseau de la STM se chiffrent, selon la société, à plus de 20 millions $ par année. Et le système actuel ne permet pas de compter précisément le nombre de passages par véhicule, par moment de la journée, ou par type de titre de transportdes informations précieuses pour la planification et la commercialisation. Pour toutes ces raisons, donc, les sociétés de transport voient un grand intérêt à renouveler le système de perception.
La technologie prévue pour Montréal est la carte à puce à lecture sans contact. Il s'agit d'une carte en plastique durable, semblable à celles utilisées dans les téléphones publics de Bell, et qui contient un microprocesseur. La transaction de validation ne se fait pas en insérant la carte dans un lecteur (une opération beaucoup trop lente aux moments de grande affluence), mais en approchant la carte de l'appareil de validation, sans y toucher. Le temps de transaction est de 150 millisecondes (la carte à bande magnétique, telle la CAM actuelle, prend 750 millisecondes à lire).
Cependant, le support physique de la carte à puce coûte relativement cher à produire; son coût ne justifie pas son emploi pour les utilisateurs occasionnels du transport en commun. On aura donc recours à la carte magnétique en carton pour remplacer le ticket à l'unité ou en lisière de 6, et pour la correspondance. Il n'est pas question non plus d'éliminer le paiement en espèces au bord des autobus. Les nouvelles boîtes de perception dans les autobus seront donc polyvalentes, capables de valider la carte à puce et la carte magnétique, d'accepter l'argent comptant, et d'émettre une carte magnétique comme preuve de paiement et billet de correspondance. Il sera d'ailleurs obligatoire aux voyageurs de détenir une preuve de paiement à tout temps pendant son trajet, comme il est actuellement le cas dans les trains de banlieue et sur la plupart des systèmes de transport européens.
Dans le métro, il y aura des tourniquets pour la carte à puce et d'autres pour les cartes magnétiques. Les changeurs deviendront des agents de service à la clientèle. Des guichets automatiques émettront les titres de transport contre paiement en espèces ou par carte de débit bancaire. Les gares de train de banlieue seront dotées des mêmes appareils. Il est à souhaiter qu'ils soient beaucoup plus conviviaux que les automates actuels de l'AMT, qui n'acceptent que les pièces de monnaie et parfois les petits billets... lorsqu'ils ne sont pas en panne!
Un inconvénient de la carte à puce est le fait que son contenu n'est pas lisible à l'oeil nu. On ne peut pas savoir, sans l'aide d'un appareil, si sa carte est valable pour le mois en cours ou si elle fonctionnera sur un train de banlieue qu'on ne prend pas régulièrement. Il y aura des appareils de lecture dans les stations et les gares; espérons qu'ils soient assez nombreux et bien repartis dans la région.
Le nouveau système de perception, comme toute nouvelle technologie, ouvre la voie au changement. La STM insiste que le régime actuel de tarification demeurera inchangé, du moins lors de l'installation du nouveau système. Cependant, la validation automatique permet toutes les variations imaginables. Il sera possible de se servir de la même carte pour tous les transporteurs participants, que ce soit au moyen d'un tarif combiné (du genre carte TRAM) ou d'un mélange de tarifs individuels (CAM pour Montréal avec paiement à l'unité en banlieue). De nouvelles formules pourraient apparaîtreune carte mensuelle qui couvre n'importe quelle période de 30 jours (du 15 au 15 du mois suivant, par exemple), ou un abonnement de plus longue ou plus courte durée. Il sera possible d'instaurer des tarifs variables en fonction de l'heure ou du jour d'utilisation. Il y aura peut-être différentes formules au nombre de voyages limité. Si on contrôlait la carte à la fin du trajet et non seulement au début, on pourrait varier les tarifs selon la distance.
L'évolution de la carte à puce est donc un dossier à suivre. Il ne faut pas oublier, cependant, que les sociétés de transport ont peu d'intérêt à faire des changements qui chasseraient les clients ou qui feraient des remous politiques. Il y a donc peu de chance de voir disparaître l'abonnement mensuel, élément essentiel à la fidélité de la clientèle du transport en commun. De la même façon, des tarifs variables à l'intérieur du réseau de la STM sont encore moins probables depuis la création de la nouvelle ville de Montréal; on imagine difficilement les arrondissements de l'ouest ou de l'est accepter un régime à deux zones depuis qu'ils font tous partie de la même ville.
Certains enjeux reliés à la carte à puce dépassent le domaine des transports. Des questions sur la protection de la vie privée pourraient surgir. La carte pourrait être remplacée en cas de perte ou de vol, à condition d'y mettre une identification personnelle. Mais dans ce cas, on peut aussi retracer les déplacements d'une personne en suivant la trace de sa carte à puce. La nature des données stockées sur la carte, et l'utilisation acceptable de ces données, seront donc des questions à débattre.
Il est déjà question, dans d'autres villes qui ont adopté la carte à puce, d'y greffer un porte-monnaie électronique. Les commerçants qui se trouvent à proximité des installations de transport en commun pourraient installer des lecteurs qui permettraient de payer son journal ou son café avec sa carte de transport. On peut même envisager l'utilisation de la carte à l'extérieur de sa région de résidence. Si les opérateurs de transport du Québec ou du Canada qui se doteront de systèmes compatibles s'organisent entre eux, la carte pourrait servir comme titre de transport universelun peu comme un téléphone mobile qui peut faire et recevoir des appels sur un réseau étranger («roaming»).
Pour le moment, les enjeux sont plus prosaïques. Puisque la STM et ses partenaires tiennent à ce projet, assurons-nous qu'ils le font dans le respect des budgets et des utilisateurs. L'introduction du nouveau système demandera une période de familiarisation, pendant laquelle la tolérance des erreurs est essentielle pour ne pas brimer les voyageurs. Si la campagne d'information est efficace, si le contrôle est juste et tolérant, si les équipements sont performants et installés en nombre suffisant, si on n'essaie pas d'introduire des hausses de tarifs cachées, si on ne permet pas d'abus des données personnelles, si la mise en service de la nouvelle technologie n'entraîne pas de coûts imprévussi toutes ces conditions sont remplies, l'expérience s'avérera positive. Aux sociétés de transport de tenir promesse.