Par Jean Richard, Jean Léveillé, et Justin Bur
INFO 2000 13:4, janvier 2003
En guise de dossier, nous vous présentons un échange de lettres entre un de nos plus fidèles lecteurs, Jean Richard, et le président de Transport 2000 Québec, Jean Léveillé. Le débat lancé par M. Richard est le suivant : est-ce que Transport 2000 Québec fait fausse route en faisant la promotion des trains de banlieue? Cet échange de lettres est suivi d’un commentaire d’un de nos membres, Justin Bur.
Dans son éditorial du plus récent numéro d’INFO 2000, le nouveau président, Jean Léveillé, semble mettre au sommet de ses priorités le développement des trains de banlieue dans la grande région de Montréal. Développer un réseau de transport, c’est ouvrir la porte au développement des régions que ce réseau desservira. Développer un réseau de trains de banlieue, c’est permettre à la banlieue de se développer, à l’heure où l’étalement urbain se poursuit de plus belle, et non plus seulement au détriment des quartiers centraux, mais des banlieues de première couronne, minant l’effort d’urbanisation de ces dernières.
Il n’est pas interdit de remettre en question l’opposition à l’étalement urbain. Cependant, le mode d’occupation des sols des deuxième et troisième banlieues tel qu’il se fait actuellement nous permet de douter que l’on puisse continuer sur cette lancée sans hypothéquer lourdement l’environnement. Or, les destinations des trains de banlieue si chers à l’AMT sont justement ces deuxième et troisième banlieues (Saint-Hilaire, Delson, Blainville – à quoi on aimerait ajouter Mascouche, Saint-Jean-sur-Richelieu…).
Il y a des mythes qui circulent à propos des trains de banlieue, du moins ceux qui ont été développés au cours des dernières années. Le premier de ces mythes, c’est que ces trains aideraient à décongestionner le réseau routier en enlevant des voitures. Le volume de circulation automobile a-t-il diminué sur le réseau routier périphérique de Montréal au cours des dernières années? La réponse est non. Cela nous permet de croire que les trains de banlieue n’ont pas décongestionné le réseau routier, mais qu’ils ont simplement ajouté des places à l’offre de transport vers la banlieue. Cet ajout à l’offre de transport n’est pas complètement étranger au fait que la construction domiciliaire tourne à plein régime dans les deuxième et troisième banlieues alors que la crise du logement frappe l’Île de Montréal de plein fouet.
Deuxième mythe à propos des trains de banlieue : celui du transport «écologique». À l’exception de la ligne Deux-Montagnes, électrifiée et un peu plus moderne, les trains actuellement en service sur les autres lignes de banlieue sont des monstres dont le niveau total de pollution égale ou dépasse celui des voitures qu’il prétend remplacer. En matière de pollution atmosphérique, il y a deux choses à considérer : les émissions de gaz à effet de serre et les polluants contribuant à la formation du smog. Ce sont deux choses bien différentes.
Au niveau des émissions de GES, on peut, en comparant des technologies similaires, faire un lien entre la consommation de carburant et les émissions de GES. Or, il a beau utiliser la technologie fer sur fer (qui minimise la friction de roulement), le matériel lourd utilisé sur les lignes de banlieue est énergivore. Sa consommation par kilomètre-passager est battue à plate couture par les autocars et autobus, la palme de l’efficacité allant aux articulés du RTL. Par ailleurs, en utilisation interurbaine, le matériel lourd tel qu’on l’exploite actuellement émet plus de GES par kilomètre-passager que la circulation automobile. En utilisation urbaine et suburbaine, la donne change un peu.
Cependant, les défenseurs de l’automobile (rassurez-vous, je ne suis pas du nombre) pourront nous servir l’argument qu’en doublant le taux d’occupation des voitures (par des méthodes vraiment incitatives au covoiturage), le train lourd se fera toujours battre par l’automobile sur des trajets banlieue–centre-ville, et ils auront raison.
L’autre facette de la pollution, ce sont les émissions de gaz ou de particules contribuant à la formation de smog. Ici, le train lourd diesel peut difficilement se défendre, y compris face à l’autobus. Le niveau d’émission des polluants des diesel est plus élevé que celui des moteurs à essence, en bonne partie à cause des micro-particules nocives – souvent bien visibles. Ici, le train est même handicapé face à l’autobus car ce dernier utilise du carburant routier, réglementé, ce qui n’est pas le cas du train. Cette réglementation (pourtant trop timide – mais appelée à se resserrer) du carburant routier fait en sorte que le carburant ferroviaire peut contenir jusqu’à dix fois plus de soufre que son vis-à-vis routier. La présence du soufre dans le carburant diesel est probablement le pire contaminant qui soit (le taux de soufre dans les carburants routiers diesel en Europe est nettement moins élevé, ce qui permet d’utiliser des filtres à particules efficaces – impensables sur nos locomotives diesel).
À l’heure actuelle, il est facile d’attaquer l’automobile en disant que son taux d’émission de polluants n’est que théorique car il dépend du maintien aux normes des systèmes de contrôle de ces émissions. Nous savons bien que la majorité des voitures ne sont plus aux normes. Cependant, les défenseurs de l’automobile iront de l’avant en appuyant l’inspection périodique obligatoire des véhicules automobiles, depuis longtemps promise et de plus en plus incontournable (le Québec traînant de la patte sur le reste du Canada).
Par ailleurs, pendant que l’on déroule le tapis rouge devant les résidents des deuxième et troisième banlieues en leur offrant des trains quasi-luxueux, lourdement subventionnés, et pour lesquels les titres de transport sont à peine plus chers qu’en ville, bien que la distance parcourue soit de loin supérieure, la norme pour le transport véritablement urbain semble figée à ce qui a toujours contribué à son manque de popularité : des autobus bondés, à confort minimal (pour lesquels la climatisation ou une simple ventilation mécanique sont un luxe inacceptable), un métro dont on veut revoir l’aménagement des voitures afin de mieux corder les passagers, à défaut de matériel disponible pour augmenter la cadence aux heures d’affluence, des voies réservées toujours aussi peu nombreuses et qu’on ferme au premier incident, des aires d’attente qui se limitent à de minuscules abribus exposés aux quatre vents et à la sloche. Bref, la première classe pour les banlieusards des deuxième et troisième couronnes, et la classe bétail pour les urbains.
Il serait inopportun de soupçonner Transport 2000 d’être manipulée par les lobbies ferroviaires (ça existe – il n’y a pas que des lobbies routiers) ou par les promoteurs des banlieues excentriques (le croquis du Village de la Gare de Mont-Saint-Hilaire dans le dernier numéro d’INFO 2000 pourrait alimenter de tels soupçons). Cependant, il y a lieu de s’interroger sur la pertinence de mettre les trains de banlieue au sommet des priorités de l’association.
À l’heure où sévit une crise du logement dans les quartiers centraux, à l’heure où le transport urbain n’a toujours pas réussi à freiner sa descente sur la pente de la détérioration, à l’heure où l’exode vers les banlieues excentriques continue à se jouer non plus seulement au détriment des quartiers centraux mais des noyaux des premières banlieues, sachant que cet exode s’accompagne aussi de celui des ressources essentielles à la conservation du patrimoine urbain, à l’heure où l’étalement urbain et la croissance en champignon des banlieues excentriques menacent l’équilibre écologique du territoire, peut-on encore faire la promotion d’un mode de transport qui contribue à alimenter ces tendances, même à court terme?
J’invite donc Transport 2000 à s’interroger sur la pertinence de mettre la priorité sur les trains des deuxième et troisième banlieue alors qu’il semblerait plus sage d’améliorer le transport urbain proprement dit (qui en a grandement besoin), de renforcer les liens entre les noyaux de banlieue urbanisables et les quartiers centraux (le prolongement du métro à Longueuil et dans l’est de l’Île, le SLR de Brossard (projet qui bat de l’aile), l’amélioration des voies réservées pour les autobus…), et de civiliser le transport des marchandises en milieu urbain.
Jean Richard
Québec
Monsieur Richard,
J’ai pris connaissance de vos observations récentes sur les orientations que je me suis données pour l’année qui vient. Je vous remercie de votre intérêt pour les questions de transport et nous encourageons d’ailleurs le débat public à tous les niveaux relativement aux politiques de transport. En revanche, si vous le permettez, je répondrai à votre lettre en rectifiant certaines affirmations à la lumière des informations disponibles.
Tout d’abord, vous avez raison de mentionner que les réseaux de transport sont structurants dans la communauté. Peu importe le mode de transport, la construction de réseaux participe et contribue au développement des communautés et à la mobilité des personnes, des valeurs qui sont chères à toute société démocratique. Bien sûr, cet objectif entraîne des coûts – intrinsèques ou externes – et commande des choix publics judicieux. D’où notre intérêt pour débattre de ces projets et de leurs impacts en général.
Ensuite, si j’ai décidé de soumettre cette vision de la promotion des trains de banlieue à l’assemblée générale des membres, c’est pour la simple raison que c’est le dossier que je connais le mieux et que le sort du système n’est toujours pas joué. Ceci ne veut donc pas dire que je ne m’intéresse plus au sort du système de transport en commun actuel à l’échelle du Québec, bien au contraire. Aussi, je continue de croire que dans l’expansion des réseaux de transport en commun autour de l’île de Montréal, la remise en forme des trains de banlieue représente le choix le plus économique (en comparaison des prolongements du métro souterrain) et le plus crédible (pour attirer les automobilistes) en comparaison des autobus. D’ailleurs, les sondages dont dispose Transport 2000 révèlent qu’une majorité écrasante des usagers des trains de banlieue sont des automobilistes. Ainsi, en l’absence de tels services ils retourneraient dans leur voiture et encombreraient davantage les ponts et les réseaux locaux de voirie de l’île de Montréal.
En ce qui concerne les émissions nuisibles découlant de la consommation des carburants, le train diesel ne peut certes rivaliser avec un train électrique, comme vous le dites, mais la comparaison y est tout à fait avantageuse vis-à-vis de l’autobus au diesel. Chargés tous les deux à 50%, ce dernier mode émet 70 grammes de gaz à effet de serre par passager-kilomètre contre 60 pour le train (technologie conventionnelle). Même le covoiturage à trois personnes dans une voiture sous-compacte ne peut faire mieux, avec 75 g/pk. [Voir Problématique des transports et des changements climatiques au Québec, Groupe de travail sur les transports, novembre 1999, p. iv] Au niveau de l’encombrement du réseau routier métropolitain, si l’effet ne semble pas perceptible, on peut affirmer qu’une offre améliorée en trains de banlieue freinerait à tout le moins la multiplication du nombre de voitures au sein des ménages des couronnes nord et sud.
Dans la même veine, vous comprendrez qu’il est difficile de dissuader les automobilistes des banlieues de laisser leurs voitures à la maison si la Ville de Montréal – avec la complicité des employeurs et des commerçants – autorise avec autant de complaisance l’expansion continue des espaces de stationnement. Pas plus tard qu’au printemps dernier, nous avons d’ailleurs rencontré le responsable des transports du comité exécutif de la Ville pour soulever ce problème et demander un plan d’action.
Par ailleurs, vous convenez qu’il ne serait pas opportun de nous associer au lobby des chemins de fer. Nous vous en remercions puisque les trains de banlieue ne sont pas vraiment une priorité de ces entreprises. Il a souvent fallu nous battre contre ces sociétés depuis 1980. Dans le domaine du transport urbain, nous avons fait plus que quiconque pour défendre les usagers du transport en commun dans l’île de Montréal, que ce soit contre les hausses de tarifs ou pour l’amélioration des services (mesures préférentielles pour autobus, nouvelles technologies, confort à bord des véhicules). J’utilise moi-même le train mais aussi le métro pour me rendre à mon travail le plus souvent possible. Par contre, je rappellerai que la mobilisation est encore plus difficile dans la ville-centre relativement bien pourvue en services qu’en couronne, où le transport public est exsangue.
Enfin, il est utile de rappeler que ce sont les automobilistes, les usagers et les municipalités riveraines desservies qui financent les budgets des trains de banlieue. Dans le même ordre d’idées, si l’on veut faire contribuer ces banlieues au financement du transport en commun métropolitain, il faut bien par solidarité leur offrir un minimum de services.
Dans un autre ordre d’idées, bien que nous ne soyons pas des experts en aménagement urbain, nous sommes d’accord qu’il est nécessaire de maîtriser l’étalement urbain. Une planification plus rigoureuse du développement est impérative. Mais il ne nous appartient pas à nous seuls d’en débattre, notre mission n’étant déjà pas facile en soi. Nous devons travailler avec des moyens limités. À cet égard, il nous ferait plaisir de vous accueillir au sein des instances de l’Association si vous désirez prêter votre concours.
Tout en vous remerciant de votre aimable attention, je vous prie de croire, Monsieur Richard, en l’expression de nos sentiments les plus distingués.
Jean Léveillé
Président, Transport 2000 Québec
Les trains de banlieue sont souvent considérés comme un facteur de promotion de l’étalement urbain. Je considère, au contraire, que le transport collectif efficace articulé autour d’un réseau performant de trains de banlieue est l’outil le plus puissant dont nous disposons pour contrôler l’étalement urbain et favoriser le développement durable en banlieue.
Il faut d’abord définir ce qu’est l’étalement urbain. Si n’importe quel développement à l’extérieur de la ville-centre constitue de l’étalement, alors effectivement, une offre de transport améliorée au-delà de la ville-centre va encourager l’étalement. Mais cette définition est peu utile pour cibler les problèmes environnementaux et sociaux du développement désorganisé en banlieue. L’étalement qu’il faut éviter, c’est la construction de quartiers résidentiels à basse densité, éloignés des services communautaires et commerciaux dont leurs résidants ont besoin, difficiles d’accès aux piétons et impossibles à desservir de façon efficace par les transports collectifs. Ce genre de quartier est entièrement dépendant de l’automobile privée. Par contre, un quartier résidentiel articulé autour d’un noyau de services accessibles à pied, en vélo, ou, au pire des cas, par un court trajet en voiture, à proximité d’une gare de trains de banlieue – un tel quartier est un exemple de développement intelligent, même s’il est situé à Mont-Saint-Hilaire ou à Sainte-Thérèse. Il est de loin préférable de construire de cette façon en deuxième couronne que de continuer à remplir les espaces non construits mais inaccessibles en transports collectifs à Laval, à Saint-Hubert, ou même dans l’ouest et l’est de l’île de Montréal.
Effectivement, la densification du tissu urbain existant est une bien meilleure façon de réagir à la demande de nouveaux logements que la construction de nouveaux quartiers éloignés. La crise du logement à Montréal (qui représente un retour à la ville inespéré il y a dix ans à peine) a déjà suscité bien de projets de construction au coeur de la ville. En l’absence de contrôles d’urbanisme stricts à l’échelle régionale, cependant, on ne peut pas arrêter la construction en banlieue. Mais comment mieux encourager la densification des banlieues existantes que d’améliorer l’offre de transport sur des axes comme ceux des trains? Car ces trains qui desservent la deuxième couronne passent forcément à travers les banlieues proches pour arriver au centre. Cette stratégie doit se compléter par l’implantation de lignes de tramway et de voies réservées aux autobus : ces modes de transport sont tous nécessaires.
Ensuite, qu’on le veuille ou non, notre communauté métropolitaine dépasse de loin les limites de la ville-centre. Le bon fonctionnement de l’ensemble dépend non seulement de la ville-centre, mais aussi de l’accessibilité de l’ensemble de la région. Nous sommes bien mal partis, avec notre développement chaotique éparpillé le long des autoroutes, mais ce n’est pas une raison pour abandonner les couronnes à leur triste sort et nous replier sur les transports collectifs au centre-ville. Au contraire, en faisant le geste d’offrir même un réseau minimal de trains aux heures de pointe, on commence à réintégrer les banlieues à la région et à élargir le territoire où il est possible de vivre sainement sans être prisonnier de sa voiture. Du même coup (surtout lorsque les trains circulent aux heures hors pointe) on rend l’ensemble de la région accessible aux citadins qui ont déjà choisi de ne pas s’encombrer d’une voiture.
Oui, la part modale des transports collectifs en banlieue est minime. Oui, il est essentiel de financer correctement les transports collectifs dans la ville-centre. Ce qui ne diminue en rien l’importance des efforts consentis à rendre attrayants les transports collectifs sur tout le territoire métropolitain, pour les usagers de tous les niveaux socio-économiques. J’envisage une région métropolitaine articulée autour d’une ossature de lignes de trains offrant un service fréquent à toute heure de la journée, toute la semaine. Les services locaux de transport s’organisent autour des gares, comme a démontré le CIT des Basses-Laurentides, récipiendaire d’un prix orange 2002 de Transport 2000 Québec. Le nouveau développement se concentre de plus en plus dans les zones bien desservies en transports collectifs. C’est comme ça qu’on bâtira une région durable. Les trains de banlieue sont un premier pas essentiel sans lesquels on n’a aucun espoir d’y arriver.
Justin Bur
Membre du conseil d’administration
Transport 2000 Québec