Par Justin Bur
INFO 2000 14:1, avril 2003
En 1956, le gouvernement fédéral américain établissait un fonds pour la construction d'un réseau national d'autoroutes interurbaines et urbaines, les «Interstate». Ce fonds appelé Highway Trust Fund tirait ses revenus essentiellement d'une taxe fédérale sur l'essence et il était considéré comme une tarification pour l'usage du réseau routier. De ce fait, les sommes énormes ainsi recueillies (environ 28 milliards USD en 2003) devaient être réservées aux dépenses relatives au réseau routier.
En 1982, la décision fut prise d'augmenter la taxe fédérale sur l'essence et de consacrer une partie des revenus (environ 15-20%) du Highway Trust Fund aux transports collectifs urbains. Cette partie du fonds – le Mass Transit Account – fournit désormais 80% des contributions fédérales aux investissements en capital dans le transport collectif urbain aux États-Unis (environ 7 milliards USD en 2003). C’est une source de financement stable, obtenue toutefois au prix d'un pacte diabolique: les niveaux de dépenses pour les routes et pour le transport collectif sont devenus interdépendants et les deux sont tributaires du niveau constant et élevé de la consommation d'essence!
Une fois la construction du réseau Interstate terminée, de nouvelles priorités pour l'argent fédéral réservé aux transports terrestres ont été établies en 1991. Une nouvelle loi appelée Intermodal Surface Transportation Efficiency Act (ISTEA, prononcé «iced tea») autorisait un peu de flexibilité dans la distribution de cet argent pour les années fiscales 1992-1997. En 1998, l'ISTEA a été renouvelée pour 6 ans sous le nom de Transportation Equity Act for the 21st Century (TEA-21). C'est cette dernière loi qui, à son tour, arrive à échéance le 30 septembre de cette année.
L'impact de ces lois sur les transports collectifs urbains depuis 12 ans est plutôt impressionnant. Le financement fédéral annuel est passé de 3,3 milliards USD en 1991 à 7,2 milliards en 2003. L'offre totale de service a augmenté de 17% pendant cette période, tandis que l'achalandage a fait un bond de 24% (il a atteint en 2000 son niveau le plus élevé depuis 40 ans). Le mythe qui veut que les Américains soient complètement réfractaires à tout ce qui est étranger à la voiture privée a été démenti: lorsque le service offert est efficace et confortable, les voyageurs sont prêts à l'utiliser. Au Canada et au Québec, où la part des déplacements en transports collectifs est déjà plus élevée qu'aux États-Unis, on peut supposer qu'une augmentation semblable du niveau d'investissement en infrastructures de transport urbain aurait encore plus d'impact sur l'achalandage; il serait donc intéressant qu'une part du programme national d'infrastructures soit dédiée aux transports collectifs.
Le débat actuel sur le renouvellement de TEA-21 ne porte pas sur les principes de base: la loi est considérée comme une réussite autant par les promoteurs des routes que par ceux des transports collectifs. Le débat porte plutôt sur les niveaux de financement. TEA-21 autorisait un niveau de dépenses supérieur aux recettes du Highway Trust Fund, se servant des revenus généraux pour combler la différence. Mais si en 1998 le gouvernement américain disposait de surplus budgétaires, en 2003 le déficit est important, l'économie est en récession et l'Administration veut concentrer ses ressources sur la défense du pays (la «Homeland Security») et la réduction des impôts. Si la nouvelle loi impose des compressions, le transport collectif – dont 20% du budget fédéral proviennent des revenus généraux – a le plus à perdre.
Cette année, en plus de TEA-21, les lois sur le financement d'Amtrak et du système aérien doivent aussi être reconduites. L'occasion se présente donc pour un débat sur la possibilité de se servir des forces de chacun des modes pour pallier les faiblesses du système actuel. Malheureusement, les réseaux routier, aérien et ferroviaire sont traités de façon totalement indépendante et très inégale par la politique fédérale américaine. L'intermodalité promise par l'ISTEA n'a jamais été explorée car elle menacerait la suprématie du système routier. Bref, même si la double crise de la congestion routière et de la situation financière des compagnies aériennes constitue une invitation à bâtir un véritable système national de transport intermodal, il y a peu de chances que les problèmes de fond du système de transports américain (qui s'appliquent presque autant au Canada) soient examinés.